Trump, la Belgique et La Boétie : le syndrome du Léopard Mangeur de Visages
- Vincent Lapunzina
- 18 févr.
- 5 min de lecture

Si vous traînez assez longtemps sur Internet, vous avez peut-être déjà croisé la fameuse phrase :
« Je n’aurais jamais pensé que les léopards mangeurs de visage allaient manger MON visage ! »
– Déclare la personne qui a voté pour le Parti des Léopards Mangeurs de Visages.

Cette citation, à la fois absurde et hilarante, illustre un phénomène bien réel : celui de soutenir une politique qui finit par nous nuire… alors qu’on pensait en être à l’abri. Bienvenue dans l’univers du “mouvement des léopards mangeurs de visage” !
Un petit historique du mème (ou comment les léopards ont envahi la Toile)
Le concept est apparu sur Twitter (maintenant devenu X) par l'utilisateur Cavalorn, pour critiquer ceux qui choisissent des mesures politiques (ou des hommes politiques) qui paraissent “dures” – en se disant qu’elles ne les affecteront pas personnellement. Malheureusement, la réalité finit souvent par rattraper tout le monde.
L’idée vient d’un parti fictif, le “Parti des Léopards Mangeurs de Visages” (Face-Eating Leopards Party). Le but est de souligner l’ironie. On soutient un gouvernement ou un dirigeant aux idées sévères… puis on s’étonne lorsque cette sévérité se retourne contre soi.
À travers les réseaux sociaux, ce cri du cœur – « Ils ont mangé mon visage ! » – est devenu un symbole de l’électeur déçu (et parfois naïf). Sur Reddit, le sous-forum r/LeopardsAtMyFace comptabilise 1,3 millions de membre. Depuis l'election de Donald Trump, le forum a explosé de capture d'écran d'électeur surpris par les mesures pour lesquelles ils ont voté.
L’accession au pouvoir de Donald Trump
Lorsque Donald Trump a été élu président des États-Unis, nombre de ses partisans pensaient qu’il appliquerait ses promesses “musclées” uniquement à l’encontre de “certains” groupes.
Surprise : Des réformes ont touché des pans beaucoup plus larges de la population que prévu (réformes de santé, impôts, restrictions migratoires). Certains électeurs pro-Trump ont commencé à se plaindre des conséquences directes sur leur vie quotidienne.
Le Léopard Mangeur de Visages : « Je suis pour la fermeté, mais pourquoi cette fermeté vient-elle me grignoter les mollets maintenant ?
On observe d'ailleurs le groupe de soutien à Trump, "Arab for Trump", changer de nom en "Arab for Peace" après l'annonce de la construction d'un camp de vacance à Gaza.
Plus dramatique, l'électorat latino-américain a voté massivement pour Trump lors de cette élection pour découvrir que le lendemain leurs familles sera déportée directement, "je pensais que cela ne concernait que les criminels" disent-ils.
Que dire des fermiers américain à qui Trump a supprimé le fond d'aide face aux changements climatiques? Il n'y a pas de changement climatique, les sècheresses et inondations sont dues au hasard donc pas de raison de créer un fond d'indemnisation fédéral.
Et les fonctionnaires fédéraux ? Ils ont voté pour un président qui annonçait vouloir les virer
Et les femmes? Elles n'ont pas compris qu'elles étaient visées par la fin du programme DEI qui permettait de lutter contre la discrimination à l'embauche.
Bref, la liste est longue
La nouvelle coalition (très) à droite en Belgique
En Belgique, lorsque les partis de droite (ou d’extrême droite) arrivent au gouvernement, une partie de la population soutient ces choix en espérant plus de sécurité, de stabilité, ou encore moins d’immigration.
La Réalité : Des coupes budgétaires et une politique plus dure peuvent soudainement affecter tous les citoyens : aides sociales réduites, législations plus sévères, pressions supplémentaires sur le monde du travail.
Le Retour du Léopard ! Les mêmes personnes qui voulaient “plus de fermeté” se retrouvent avec des mesures qui les pénalisent directement. Vu le vote massif, il y a probablement des professeurs (qui ne seront jamais statutaire), des fonctionnaires (qui ne seront jamais statutaire).
“Mais… c’était censé cibler les autres, pas moi !”
Un pont vers la philosophie : La Boétie et la “servitude volontaire”
Le principe des léopards mangeurs de visage rejoint un concept vieux de plusieurs siècles : la servitude volontaire, décrit par Étienne de La Boétie dans son célèbre Discours de la servitude volontaire.
Pourquoi des peuples entiers se soumettent ils à un pouvoir oppressif, alors qu’ils sont bien plus nombreux que leurs dirigeants ?
Pour La Boétie, il existe un consentement tacite (voire actif) à l’oppression. Les gens finissent par coopérer avec ceux qui les dominent, souvent par habitude, peur, confort ou simple illusion de sécurité.
Les 5 ressorts de la “servitude volontaire”
1) L’habitude: On s’habitue rapidement à un mode de gouvernance, même s’il est contraignant. Avec le temps, on finit par juger cette contrainte “normale” et indépassable.
2) L’illusion de protection: On se dit que le gouvernement (ou le chef) nous protègera du désordre. En échange, on est prêt à renoncer à certains droits et libertés.
3) Les privilèges d’une élite complice : Le pouvoir s’entoure d’un petit groupe avantagé qui fait tout pour maintenir le système.
4) Le divertissement: Pain, jeux, actualités croustillantes, scandales people… Tant qu’on est occupé, on se pose moins de questions.
5) La peur: Personne n’a envie d’être la cible de répression ou d’exclusions. On préfère donc parfois se taire… et se soumettre.
Comme La Boétie l’explique, la domination ne repose pas que sur la force brute, mais sur l’acceptation plus ou moins volontaire de la population.
Dans le cadre du “léopard mangeur de visage”, on consent à des politiques dures en espérant qu’elles ne nous concerneront pas. Mais la “façon de mordre” du léopard a rarement des limites très claires.
Alors, doit-on ranger les léopards en cage ?
La morale de l’histoire, autant chez La Boétie qu’à travers ce mème, est que nous sommes co-responsables du pouvoir que nous donnons à un gouvernement ou à un dirigeant. Le léopard (ou le tyran, ou la politique répressive) n’agit jamais seul : il a besoin de l’adhésion – ou du moins de la passivité – de la population.
Réfléchir avant de voter ? Lire les programmes? Mesurer les conséquences collectives en se disant que ce qui semble viser “les autres” peut un jour nous atteindre? Comme le disait La Boétie, la solution la plus pacifique est de “cesser de servir”. C’est en refusant l’obéissance aveugle qu’on brise la servitude.
Le “mouvement des léopards mangeurs de visage” est bien plus qu’une simple blague sur Internet : c’est un rappel ironique qu’on peut soi-même être la proie de la bête qu’on encourage. Les exemples de Donald Trump et de certains gouvernements très à droite (comme en Belgique) montrent à quel point les politiques fermes, voire oppressives, finissent presque toujours par toucher l’ensemble des citoyens, y compris ceux qui croyaient y échapper.
Et comme nous l’a enseigné La Boétie, la domination ne vient pas seulement du haut, mais de notre tendance à la tolérer, voire à l’entretenir. Alors, avant de voter pour un léopard, assurons-nous de ne pas finir sur son menu.
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